J’avoue que je suis très triste en le lisant les articles et la presse du jour et de ces derniers jours. Pour s’en sortir et éviter les combats inutiles et indignes de l’élégance république et démocratique, il faudra probablement d’une part, rationaliser le système notamment en réformant la direction générale des élections et la CENA et d’autre part, exploiter d’autres opportunités de refonte pour un contrôle plus démocratique des partis politiques. C’est le sens de cet article, comme exposé ci-dessous.
D’autres voies existent pour rationnaliser
En réalité, si l’on veut un système rationalisé des partis politiques, on peut y arriver autrement. Des textes comme les lois sur les associations et le check-off, l’inventaire et l’analyse des dysfonctionnements tirés de l’expérience peuvent inspirer, voire aider à refonder la Direction générale des Elections que nous avons repris du Canada à l’époque, après une période turbulence électorale liée aux élections municipales de 1994, sur initiative du Président Abdou Diouf. Dans une certaine mesure, la réalité et les incertitudes actuelles mettent en évidence des fuites de responsabilité de certaines élites sénégalaises, intellectuelles et politiques, adeptes de la facilité et de la réflexion paresseuse, brèches dans laquelle toutes sortes de soi-disant activistes, propagandistes, populistes, leaders toxiques, coalitions, mouvements et démagogues se sont aujourd’hui largement engouffrés.
Mais il n’y a pas qu’eux : il y a aussi ces citoyens et ces élites, brillantes parfois, qui ont abdiqué, qui ne s’impliquent pas, ont tant d’alibis, qui pensent que la politique, c’est le monde des compromissions ; elle ne vaut rien, elle est sale, etc. Il y a toute cette cohorte de gens qui se disent dotés de destins politiques salvateurs pour le peuple sénégalais et que rien dans leur histoire, dans leur legs, leurs constructions et sagesses antérieures, leur performance passée, n’établit. Et pourtant, ils ont des militants, on les suit, on applaudit. Et puis, il y a aussi ces gens qui pensent que la politique, c’est bomber la poitrine, rugir de la voix la plus rauque possible, insulter, toutes choses qui ont tué son sens noble et l’exigence de débats et de programmes, chassé de la politique des gens comme Cheikh Anta, Doyen Ibrahima Fall et bien d’autres gens. S’il en est ainsi, c’est qu’il y a aussi ces gueux de la politique, des perdants du moment, qui disent qu’ils n’ont plus rien à perdre, qui admirent les soi-disant héros courageux, les leaders toxiques, les populistes, etc. Et comme la nature a horreur du vide, l’environnement politique se remplit d’une manière ou d’une autre.
Aux origines d’un Direction générales des élections, dévoyée
L’idée de créer une Direction générale des Elections était bonne et le Président Abdou Diouf avait accueilli avec enthousiasme une telle proposition de l’Inspection générale d’Etat à laquelle elle avait commandité une mission de vérification à la suite des élections désastreuses de 1994, les deux Inspecteurs généraux d’Etat commis ayant proposé une telle structure, informés de l’existence du modèle canadien.
Pour moi, une nouvelle « Direction générale des Elections est à recréer : elle serait autonome, hors de la prégnance d’un ministère, une sorte de personne morale ou de personnalité autonome ; elle intégrerait ou superviserait la CENA et des cellules au niveau territorial : c’est ce modèle que nous avions plus ou moins en tête en faisant cette proposition à la suite du rapport commandité par le Président Diouf, car nous avions déjà benchmarqué quelque peu. En effet, j’avais eu accès aux informations sur le modèle canadien en tant que Directeur général de l’ENAM entouré d’une multitude d’ouvrages et d’une documentation variée que j’explorais régulièrement. J’avais gardé ses souvenirs dans ma tête ne m’imaginant même pas qu’ils allaient servir par la suite.
En sus d’autres leviers sont possibles
Un parrainage organisé comme des sortes d’élections avant l’heure avec cet alibi de redondance des parrains est inique et illogique… Mais bien plus, un modèle sain de démocratie électorale suppose un environnement politique sain. Et alors, il faut des réformes intégrées et cohérentes, neutres et éthiques. Les structures, les organisations et les systèmes ne sont pas figés et éternels : on reconnaît volontiers aujourd’hui, qu’ils doivent être agiles. Probablement, une sérieuse réflexion permettrait de prendre en compte les lois sur les associations et le check-off car un parti doit au moins pouvoir prouver sa capacité à disposer d’un siège décent, d’un secrétariat minimal, d’un budget prévisionnel, d’un secrétariat et d’un effectif d’encadrement minimal, de cotisations de ses membres, d’états financiers et statistiques annuels/périodiques certifiés par une autorité à déterminer, d’assemblées générales annuelles ou périodiques avec les procès-verbaux formalisés vérifiables, etc. En l’absence de tels éléments vérifiables, notamment, c’est la surenchère des mouvements, des coalitions et autres manipulations de ce genre.
Et puis, il y a la presse à reformater, pas toute, certains reporters et journalistes dont à vue d’œil on sait qu’ils sont juges et parties, émotifs et que leurs cœurs balancent en faveur de… Ce ne sont pas là leurs rôles, à moins qu’il s’agisse d’une presse de partis, par exemple. Par ailleurs, l’existence de sondages réglementés, exercés par des experts attitrés, agrées et indépendants, aiderait à neutraliser plus ou moins tant de politiciens qui usent de toutes sortes de prédictions, d’abus, de propagandes et de manipulations de l’opinion. On le sait, nos politiciens excellent dans de tels exercices : « les sénégalais pensent que… Les sénégalais ont dit, désavoué, etc. », sans que l’on sache combien, où et quand. L’adage « What gets measured matters » n’est pas sénégalais.
En refusant ou en craignant de faire évoluer le système politique vers de tels modus operandi de la démocratie politique, les partis qui se sont jusqu’ici succédé au pouvoir en arrivent à tomber dans les pièges de leurs propres entourloupettes. Nous n’avons pas forcément à importer un modèle juridique exogène comme nous savons si bien le faire jusqu’ici : comment ça se passe en France ? Réponse : de telle ou telle manière et on copie. Quel est le slogan en vogue du moment ? Ceci ou cela ? Et on le répète alors qu’au-delà des slogans, il y a la difficile question du comment. Nous n’avons pas ou nous avons peu d’élites inventives ; elles savent copier, tailler sur mesure, pour reprendre une expression en vogue, et cela donne ce désordre. Recopier le modèle de l’ancien colonisateur, à l’heure d’Internet, du benchmarking et l’ouverture au monde et aux talents ne peut que produire ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Et ceux qui veulent réinventer se rendent compte que prendre un autre chemin, c’est ne pas être compris, c’est être voué aux gémonies.
Culte de la médiocrité ? Manque d’humilité ou opportunisme ?
Abdou Karim GUEYE, Inspecteur général d’Etat à la retraite, ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature. Conférencier, formateur, Coach en management, nouveau management public, gouvernance et gouvernance d’entreprise, leadership, gestion du changement et transformation. Certified Coach, Teacher and Speaker chez John Maxwell Team, Orlando
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