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Extension de la réforme au-delà des limites d’une seule institution

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« La bonne marche d’un État ne saurait dépendre d’une seule  institution, d’un seul homme. Il est temps  que Sénégalais et Africains le comprennent. A défaut le retard de nos pays sur le reste du monde ira s’accroissant »

« Pouvons-nous proposer une idée ou une tactique permettant d’étendre les réformes au-delà des frontières d’une seule institution, d’une seule personne, notamment à d’autres parties prenantes ou niveaux de gouvernement ? Certainement, oui ! Examinons le thème sous quatre angles[1] :

1. Des dirigeants, des équipes, des leaders et des coalitions engagés, unis autour d’une vision commune du futur peuvent faire la différence

Le changement peut être largement partagé par les acteurs, les bénéficiaires et les parties prenantes si ceux-ci sont convaincus qu’une volonté politique incontestable et des réformes efficaces sont en cours et commencent à produire quelques résultats qui impactent leurs vies. C’est le cas lorsque la preuve est évidente que des leaders transformationnels ont pris en main le processus de gestion et de direction du changement et d’un tel mouvement avec succès : un président, un premier ministre, un ministère chargé des réformes ou un directeur général, un leader, etc. Un tel changement nécessite un solide modèle qui consacre l’existence d’une unité ou d’unités de gestion des performances ainsi que des coalitions de talents et d’équipes stratégiques. C’est cette combinaison qui permettra la production d’impacts attendus des réformes, de coacher les gens, de généraliser l’apprentissage du succès, de la confiance en soi, des résultats, etc. C’est également par ce biais que seront assurés le suivi et l’évaluation des politiques et des programmes publics, une recherche-action endogène mais ouverte, l’autonomisation et la « réingénierie » des structures et des processus, plus globalement les stratégies et les tactiques permettant :

– l’intériorisation et la contagion du changement et de réformes, le déclenchement des stratégies gagnant-gagnant, le partenariat et le consensus, la convergence d’intérêts communs ;

–  le renforcement du partenariat public-privé avec des citoyens, des groupes de plaidoyers, la société civile, les fonctionnaires;

–  l’acceptation et le renforcement de la discipline, voire de l’autodiscipline que Mahathir,  l’ancien premier ministre de la Malaisie, a su inculquer ;

–  des coalitions et des réseaux de réformateurs qui contribuent, renforcent les capacités et expliquent les enjeux et l’avenir aux citoyens et aux parties prenantes ;

–  le renforcement de la motivation et le déclenchement des principaux ressorts de la haute performance et l’orientation des gens vers l’excellence, les valeurs intangibles du changement et le respect de soi et des autres ;

–  le renforcement de la confiance en soi, des talents, de la culture de la performance tout en généralisant la méritocratie par des incitations appropriées comme un principe de la République ou de la gestion étatique. …

2. Matérialiser la vision par des instruments stratégiques pertinents

La vision stratégique doit être matérialisée par des instruments pertinents, en l’occurrence :

– des déclarations, des plans et des processus encadrés par des structures organisationnelles pertinentes;
– la gestion stratégique, les plans d’action finalisés grâce à divers outils comme PEST X SWOT, l’analyse des parties prenantes, l’analyse stratégique des unités et centres d’affaires, de gestion, de responsabilités et de performance.

–  la formalisation de démarches et d’outils de contrôle interne, de suivi et d’évaluation permettant l’analyse des secteurs ou des domaines clés de résultats par des indicateurs, des tableaux de bord et des rapports de performance.

–  la gestion des projets pilotes et des priorités pour tirer les leçons et généraliser les acquis ou succès obtenus, en temps opportun ;

–  le coaching et le développement individuel, professionnel et organisationnel par des programmes de formation, des séances de développement, des récompenses et des incitations en faveur du changement et des « Champions de la performance, etc. »

Il existe de multiples approches et outils comme ceux de Bertelsmann Institute, le Big Fast Results, le Fast Results Approach ou l’approche par les résultats rapides, ma méthode des centres de responsabilité et de performance, etc. Aucune d’elles n’est suffisante en soi ; elles sont à réinventer selon les contextes par des capacités endogènes, mais ouvertes par des combinaisons réfléchies et adaptées.

3. La réorganisation des Etats par des instruments organisationnels : la rationalisation, le réengineering, l’accessibilité et l’équité pour mieux satisfaire les citoyens

Certains pays asiatiques ont assez tôt entrepris des réformes conformes aux exigences du nouveau management public (NMP) centrées sur la mise à niveau des processus, les centres de performance au niveau gouvernemental, etc. En revanche, les règles et les paradigmes de services publics dans les pays africains de langue française issus du modèle colonial et de la bureaucratie réglementaire semblent empêcher toute évolution sérieuse vers un nouveau management public compétitif et la construction d’Etats de classe internationale. Ainsi, prévalent des chevauchements, des duplications, des structures et des processus fragmentés, finalement, une bureaucratie et une galaxie composées de nombreuses agences créées au nom du credo d’une performance encore attendue. En outre, il manque un chaînon sous la forme d’un cadre législatif et organisationnel « concurrentiel », d’une gestion stratégique et d’un management de la performance et des risques conformes aux normes et bonnes pratiques internationales.  Pour réformer sérieusement, quelques perspectives sont à explorer :

  • simplifier, rationaliser et procéder à la réingénierie des structures, des processus, des chaines de valeur en se référant au credo « Small is beautiful » ;
  • transformer plusieurs unités du secteur public en centres de responsabilité et de performance ;
  •  prendre en compte les contraintes de management, de cartographie et de registre des risques,
  • Intérioriser les paradigmes et les principes de gestion du changement, l’évaluation des politiques et des programmes publics, le nouvel équilibre « Gouvernance-management-surveillance », etc.

4. Intégrité, transparence, éthique et équité

Le succès exige l’adhésion des citoyens et des élites convaincus que les choses peuvent changer, sont en train de changer, peuvent changer ; mais pour cela il faut des réformes orientées vers les citoyens, les contribuables, les usagers considérés comme des clients. Cela requiert aussi l’existence de fortes unités de pensée stratégique, de reddition de comptes indépendantes et autonomes, professionnelles, en l’occurrence des Contrôleurs généraux, des unités anti-corruption, de benchmarking, de suivi et d’évaluation, de gestion du mérite et de la déontologie.

Vaste programme pour un leader décidé et courageux ! Leadership, c’est en effet, le grand levier incontournable pour de telles réformes ! Evidemment pas n’importe quel leader ! Pas un leader solitaire aussi ! Il faut ainsi un leader capable de conduire une équipe transformationnelle, un  cercle rapproché. Sans cet impératif, n’existent que des slogans vite absorbés par des suiveurs sans vrais projets, un leadership toxique entre les mains de démagogues et de propagandistes professionnels dangereux pour la croissance économique et pour l’avenir de la démocratie.

Conclusion

Étendre les réformes au-delà des limites d’une seule institution, d’un homme, à d’autres parties prenantes nécessite une réflexion stratégique, des sous-systèmes à intégrer et l’impulsion au sommet par un leadership de haute facture prêt à créer d’autres leaders. Il faut ainsi :

En fin de compte, il faut une capacité à penser et d’agir de façon stratégique, un sommet qui donne de la voix, guide et montre le chemin, qui ne dirige pas tout seul, capable de créer des coalitions gagnantes pour l’excellence, les performances, le mérite et la transparence.

  • Une vision globale et un plan stratégique très équilibré et systémique, quel que soit son nom ( projet d’établissement ou de service, plan stratégique, Vision 2020-30, Pays-Plan de croissance rapide, Plan Emergence, et ainsi de suite).
  • Des approches permettant d’expérimenter des projets-pilotes, des objectifs et des résultats clés prévus, des indicateurs clés de performance, de solides unités de gestion et d’évaluation des performances, des processus et de la réforme.
  • Une claire orientation vers la méritocratie et la transparence, des incitations et des récompenses, plus globalement le coaching et le renforcement des capacités.
  • La mise à jour des pratiques, de la législation et des réglementations réadaptées à de tels impératifs.
  • Un leadership « fort », transformationnel, des leaders coaches prêts à créer d’autres leaders qui vont prendre la relève.
  • Une forte volonté politique pour le changement et contre les intérêts claniques, politiques, « patrimoniaux », etc.

A nous d’identifier et de trouver ces bons leaders et leurs cercles rapprochés capables de mener de tels changements si risqués. Car enfin, « un est un tout petit nombre pour atteindre la grandeur » Le reste est peut-être des illusions vers les déceptions réitérées !

Abdou Karim GUEYE

Inspecteur général d’Etat à la retraite. Consultant International en Gouvernance.

Ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal


[1] Cet article est le résultat de recherches que j’avais menées dans le cadre du Programme Making Government Work in Hard Places de Princeton University.

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